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L’œil de la footix : “L’Algérie n’était pas du tout dans la stratégie, elle n’était que dans l’émotion”

L’œil de la footix : “L’Algérie n’était pas du tout dans la stratégie, elle n’était que dans l’émotion”

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Photo by CHARLY TRIBALLEAU / AFP

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Par Lucie Bacon

Publié le

"J’ai hésité à changer de camp au milieu du match, mais je ne pouvais pas réellement changer de nationalité…"

Donnia est une collègue, elle est rédactrice en chef de Konbini arts. Plutôt que de regarder du foot, elle préfère passer ses soirées devant de beaux films et de jolies séries, et on la comprend aussi. Mais Donnia est d’origine algérienne, et quand les Fennecs jouent, elle se transforme en supportrice enflammée. On a donc décidé de lui donner la parole pour analyser l’ultime match des Algériens lors de cette CAN 2022, et c’est avec une immense tristesse qu’elle s’est – merveilleusement bien – prêtée au jeu.

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“Bonjour, je m’appelle Donnia, je ne regarde jamais le foot, sauf la Coupe du monde et la CAN, que je regarde de bout en bout, surtout quand mon équipe, l’Algérie, gagne. J’ai un amour particulier pour le goal algérien, Raïs M’Bolhi. Les rares fois où je regarde des matches, je suis très investie : je vais pleurer, crier, sauter, je me transforme en boule de nerfs. C’est un plaisir rare mais intense pour moi.

C’est avec le cœur lourd que j’analyse ce match de l’Algérie face à la Côte d’Ivoire. On l’a senti venir, le dernier match n’était pas flamboyant, je n’y croyais pas et je savais qu’ils allaient se faire éliminer. Toutefois, je ne m’attendais pas à ce score… On s’est tout de même pris cinq buts, dont deux ont été mis hors-jeu. Les Algériens n’ont même pas eu le talent de nous donner des hors-jeu. Ils ont pourtant eu de belles occasions : des penaltys, des coups francs, des corners… Aucune n’a été saisie, hormis l’unique but qu’ils ont réussi à rentrer.

Pauvre goal algérien… C’était terriblement douloureux pour lui car il est très talentueux et son équipe l’a complètement lâché. Il s’est retrouvé tout seul dans les cages. Arrêter des ballons, il sait faire, mais en arrêter une dizaine, une vingtaine… Il n’avait aucune défense. La Côte d’Ivoire progressait, tranquillement, sur une autoroute fluide, car l’équipe algérienne n’était pas du tout organisée. Elle n’était pas du tout dans la stratégie, elle n’était que dans l’émotion. Et les gestes énervés, les cris constants de leur entraîneur en témoignent. Les Fennecs ont envoyé des années d’entraînement et de victoires en l’air.

Les premières minutes étaient attristantes, les fautes s’enchaînaient : tout le monde était tendu. Ces premiers instants passés, les Ivoiriens ont ensuite parfaitement joué. Leurs fautes n’étaient pas les mêmes que les Algériens, ce n’était pas des chassés. Il y avait un énervement, un agacement, une lassitude de la part des Algériens, on pouvait le sentir ; ils se sont déçus et ils savaient qu’ils étaient en train de décevoir leur peuple. À un moment, il y a eu des cris de soutien de supporters, on en était à 3-1, en fin de match, c’était un cri de désespoir… C’est un peuple résistant, ça, c’est sûr !

“Ça arrive de faire une remontada…”

Il y a une phrase d’un commentateur qui m’a fait beaucoup de peine, qui m’a touchée au cœur : “Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir.” Quand on est à dix minutes de la fin et qu’on sort ça, c’est qu’il n’y a plus d’espoir, il n’y a que la mort sur le terrain. On aurait pu se passer d’un tel adage et se rendre compte dès la publicité que c’était cuit ! Ça arrive de faire une remontada, mais on savait très bien que ça n’allait pas dans ce sens. Après la mi-temps, ils ont joué de la même manière qu’en première période, il n’y a pas eu de changements de stratégie dans les vestiaires, c’était éprouvant.

Je ne suis pas spécialiste, mais j’avais quand même l’impression qu’ils s’étaient complètement reposés sur leurs lauriers, qu’ils jouaient avec leur ego. Ils étaient les meilleurs à la dernière CAN, ils ont fait de bons matches entre-temps, mais les autres équipes se sont aussi beaucoup entraînées. Les Ivoiriens faisaient déjà partie des meilleurs à la dernière CAN, et là, ils étaient très forts, je les ai trouvés très organisés, ils savaient ce qu’ils faisaient. Leurs buts n’étaient pas volés, ils ont joué avec tact, avec douceur, et ils l’ont emporté. Ils méritent leur victoire, amplement, dignement.

Au moment où on a marqué, je me suis dit que s’ils avaient joué comme ça tout le long, il y aurait eu un espoir, mais très vite, ils sont retombés dans leur mauvais jeu, et l’espoir est mort ! J’aurais mieux fait d’aller au musée… J’ai hésité à changer de camp au milieu de parcours, mais je ne pouvais pas réellement changer de nationalité. Il faut se dire que ce n’était tout simplement pas pour nous cette année. Nous allons désormais soutenir la Tunisie, le Maroc, le Mali, nos voisins. Ou les Comores, qui concourent pour la première fois à la CAN cette année.

J’espère que ça leur servira de leçon, et que la prochaine fois, les Algériens viendront avec la tête sur les épaules, en se disant que rien n’est acquis. Ce qui est beau, c’est que l’équipe avait gagné la CAN en pleine révolution du Hirak, c’était un cri du peuple, c’était un cri des joueurs, c’était très symbolique. Le plus important, c’est qu’on l’ait gagnée cette année-là, car le peuple algérien en avait besoin. Et nous leur en serons éternellement reconnaissants.”