À quel moment de la séance de tirs au but le meilleur joueur de l’équipe doit-il tirer ?

À quel moment de la séance de tirs au but le meilleur joueur de l’équipe doit-il tirer ?

Image :

Photo by Ayman Aref/picture alliance via Getty Images

photo de profil

Par Lucie Bacon

Publié le , modifié le

"Tu ne peux pas laisser des défenseurs centraux tirer avant ton meilleur joueur, ça n’a aucun sens !"

À voir aussi sur Konbini

Article écrit en février 2022. 

La finale de la CAN, il y a deux semaines, en plus de nous avoir offert la première victoire du Sénégal dans l’histoire de la compétition, a (r)ouvert un débat intéressant. En décidant de faire tirer en dernier leur leader technique, en l’occurrence Sadio Mané et Mohamed Salah, les coaches du Sénégal et de l’Égypte ont pris des risques. Pour certains. Pour d’autres, c’est évident que le leader technique d’une équipe doit s’élancer en dernier. On s’est posé la question : quand le meilleur joueur d’une équipe doit-il tenter sa chance lors d’une séance de tirs au but ?

Dans un premier temps, on en a discuté chez Konbini. “On parle du meilleur joueur, ou de celui qui a le plus de cou*lles ? Moi, je le ferais tirer en cinquième”, résume Hugo. Le débat est lancé, les arguments fusent. Enzo, leader technique de Konbini lui-même, est catégorique :

“Les meilleurs doivent tirer en premier. Tu ne peux pas prendre le risque que ton meilleur joueur ne tire pas un penalty. Tu ne peux pas laisser des défenseurs centraux tirer avant ton meilleur joueur, ça n’a aucun sens ! Il vaut mieux avoir Kalidou Koulibaly en cinquième, et au moins arriver jusqu’au cinquième tir, que mettre Sadio Mané en cinquième et ne pas savoir s’il va tirer !”

Pierre pense, quant à lui, l’inverse : “Je trouve ça assez logique de faire tirer les leaders techniques en dernier, car d’abord c’est un geste qu’ils maîtrisent, et ensuite, ils ont l’habitude de la pression, et plus tu t’approches de la fin, plus tu en as. Tu as plus de chances d’échouer si t’es pas un leader technique en fin de séance qu’au début.” Louis abonde en ce sens : “Quitte à prendre un risque, je mettrais le meilleur en dernier, pour mettre plus de pression sur le gardien adverse.”

Aurélien se définit lui-même comme un footix, mais son avis nous paraît toutefois intéressant :

“En premier, je ferais tirer les plus sûrs, mais il faut que le cinquième ça soit le plus ouf, celui qui ne tire jamais de penalty mais qui va y arriver sur une dinguerie. Il va tirer tout droit et ça va marcher car le gardien ne saura pas où aller.”

Rachid a quant à lui un autre scénario en tête, bien différent encore : “Le meilleur, je le fais tirer en deuxième ou troisième. Tu passes avant tout le monde et tu chauffes les autres.”

Pour rendre le débat plus concret, ou plutôt plus “scientifique” disons, on a décidé d’interroger un prof de maths fan de foot, pour parler probabilité. Nicolas a gentiment accepté de nous répondre. Du tac au tac, il nous lance : “Je dirais que le meilleur devrait tirer en quatrième. Car l’écrasante majorité des séances vont jusqu’au quatrième tir au moins. Et là on commence à entrer dans le money-time. Mais ce n’est pas une réponse de prof de maths…”

Pour nous apporter une véritable “réponse de prof de maths”, Nicolas prend quelques minutes pour faire des recherches et nous apporter une réponse plus complète, mais finalement pas si éloignée de son premier sentiment :

“98,7 % des séances vont jusqu’au quatrième tir. Donc, si ton équipe tire en premier, le quatrième tireur va devoir tirer dans 98,7 % des cas. Mais la séance peut s’arrêter après ce tir. Ce qui concernerait, d’après mes calculs, 5 % des séances environ. Donc si ton équipe tire en deuxième, le quatrième tireur va devoir tirer dans 93,7 % des cas. Ce qui reste important tout de même.

Pour résumer : quand on tire en premier, le quatrième va devoir tirer dans 98,7 % des cas. Quand on tire en deuxième, le quatrième va devoir tirer dans 92 % des cas. Donc ça reste important. Dans le cas de Salah, ce n’était pas pertinent de le mettre cinquième, surtout parce que son équipe a tiré en deuxième. Mais le coach le savait-il au moment de désigner ses joueurs ?”

Enfin, on a voulu avoir l’avis d’un pro sur le sujet. Pour cela, on a interrogé Nolan Roux, un des joueurs les plus expérimentés de notre championnat, top 20 des meilleurs buteurs de L1 encore en activité, désormais à la Berrichonne de Châteauroux. Les penalties, ça le connaît, et c’est à Saint-Étienne qu’il en a le plus tiré de toute sa carrière, précise-t-il. On en profite pour lui demander tout d’abord comment il s’y préparait :

“Que ce soit un penalty ou un tir au but pendant une séance, pour moi, c’est pratiquement la même chose. Je les travaille beaucoup à l’entraînement : je les tire toujours au même endroit, là où même si le gardien plonge du bon côté, il a du mal à l’avoir. C’est d’abord un travail technique. Puis en match, quand ça arrivait, je prenais le ballon, et je n’entendais plus rien, j’étais dans ma bulle et je me disais que ça allait marcher. J’en ai beaucoup tiré des décisifs, dans le temps additionnel ou dans des matches de Coupes. Dans ces moments-là, c’est dangereux, on peut perdre ses moyens.”

Mais concernant le cœur de notre sujet, la séance de tirs au but, l’attaquant est catégorique :

“Pour moi, le leader technique doit tirer en premier, c’est lui qui donne le ton. Tu sais que ce joueur-là a 95 % de chances de marquer environ si c’est lui qui tire les pénos d’habitude, il a la pression, il sait la gérer. Ça donne de l’assurance pour les autres.”

Mais Nolan Roux nuance aussi beaucoup, notamment en fonction du match, de l’entraîneur ou encore du contexte :

“C’est souvent le coach qui va nommer les joueurs. D’abord, il va demander qui veut tirer, puis à quelle place. Mais parfois il doit faire des choix, et on ne peut pas forcer les joueurs à tirer. Ça va dépendre de l’appréciation des joueurs, si certains ont joué plus que d’autres dans le match, du terrain – difficile ou non. Je comprends aussi que le leader technique puisse tirer quand il le décide, pour donner de l’énergie à tout le monde en début de séance, ou pour donner la victoire à la fin. Mais il peut aussi la faire perdre.”

Finalement, la question qui se pose est de savoir à quel moment de la séance il faut être le plus décisif. On se tourne donc enfin vers la Bible littéraire des tireurs de péno, Onze mètres, la solitude du tireur de penalty. Ben Lyttleton y aborde notre question, pages 222-223 de l’édition française chez Hugo Sport.

L’auteur y rapporte une étude d’Ignacio Palacios-Huerta, prof d’éco qui a aussi longuement étudié les pénos, les courses d’élan ou encore les plongeons des gardiens. En étudiant le contexte d’un match, le score, l’ordre des tireurs, Palacios-Huerta a tenté de découvrir un indice d’importance pour déterminer l’ordre des tireurs.

Si celui-ci est extrêmement compliqué à déchiffrer, nous apprend Ben Lyttleton, une grosse tendance s’en dégage : un “U”. Un U ? Oui : “La forme générale de la variable ‘importance’ telle que Palacios-Huerta l’a modélisée a la forme d’un U. Les penalties les plus importants sont le premier, le quatrième et le cinquième. Le quatrième est potentiellement le plus important pour l’équipe qui tire en deuxième position.”

Et si, finalement, ce n’était pas en premier ou en dernier, mais bien en quatrième que le meilleur joueur devrait tirer ? Si la réponse à la question est compliquée à trouver, et dépend plus d’un contexte, de sensations ou d’un sentiment, on espère vous avoir – un peu – aidés pour choisir dans quel ordre faire tirer les joueurs dans votre partie de Football Manager