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On a discuté avec Alexandre Léauté, le plus jeune médaillé français de cyclisme handisport

On a discuté avec Alexandre Léauté, le plus jeune médaillé français de cyclisme handisport

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© L.Percival – CPSF

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Par Anna Finot

Publié le

"Je trouve que cette année, grâce aux Jeux de Tokyo, il y a eu un engouement énorme pour le handisport."

À seulement vingt ans, Alexandre Léauté a fini les Jeux Paralympiques de Tokyo avec autant de podiums que d’épreuves. Le jeune breton revient en France avec quatre médailles olympiques autour du cou, sans compter les nombreuses précédentes remportées lors des championnats du monde de paracyclisme. Paralysé du côté droit depuis la naissance, le jeune para-athlète nous raconte son parcours dans le handisport de haut niveau et sa passion pour le vélo depuis qu’il est tout petit.

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Photo L.Percival – CPSF

Konbini Sport | Bonjour Alexandre, pour commencer, tu peux nous raconter d’où vient ta passion pour le vélo ?

Alexandre Léauté | Elle est née alors que j’étais tout petit, parce que mon papa en faisait dans une équipe d’amateurs français, et ma maman nous emmenait toujours le voir sur ses courses de vélo. C’est un peu lui qui m’a transmis cette passion que j’ai dû commencer assez tard d’ailleurs, à 14 ans et pas avant. Mon père ne voulait pas que je commence trop jeune pour éviter d’en être dégoûté par la charge de travail que ça demande. Généralement, plus tu commences tard, et plus tu vas loin. Alors, j’ai commencé par jouer au foot avec mes copains pour m’amuser avant de me lancer dans le vélo. Mais je pense surtout que mon père a voulu me préserver vis-à-vis de mon handicap.

Justement, ton handicap t’a-t-il freiné dans ta passion pour le vélo ? 

Pour être franc, au début, au départ des courses, pour moi je n’étais vraiment pas handicapé. C’est sûrement pour ça d’ailleurs que je me prenais autant de défaites tous les week-ends, sans jamais me dire que c’était à cause de mon handicap. Quand les gens me demandaient pourquoi je boitais, je leur répondais que je m’étais cogné la jambe dans un mur avant de partir. Je ne dirais pas que j’avais honte de mon handicap mais je ne voulais pas le dire à tout le monde et qu’ils me prennent en pitié.

Tu souffres d’une hémiplégie du côté droit, est-ce que tu peux nous expliquer ce que ça implique dans ton sport ?

J’ai eu un AVC à la naissance qui a entraîné un manque de sensibilité dans mon bras et ma jambe droite. Donc j’ai toujours vécu avec mon hémiplégie. Et pourtant ça m’arrive d’oublier comme quand je m’ébouillante le pied dans la baignoire brûlante, distrait par mon téléphone, où je ne me rends pas compte que l’eau n’est pas à la bonne température… Ou quand par exemple, je m’endors dans le train à la place d’une dame qui veut récupérer sa place et qui a beau me taper sur mon épaule pour me réveiller, rien à faire, je ne sens rien ! Cette fois-là, il a fallu que le contrôleur me mette une claque pour me réveiller, et je n’ai même pas pu m’expliquer. Si elle lit un jour cette interview : je m’excuse madame !

“Les mecs qui m’embêtaient au collège, ils sont dans mes DM Insta maintenant”

Il y a des situations amusantes, mais il y en a eu des plus compliquées ?

Oui forcément, mais figure-toi que les mecs qui m’embêtaient au collège, ils sont dans mes DM Insta maintenant. Mes années collège et lycée se sont relativement bien passées pour des années connues pour être redoutables et cruelles. C’est plus dans mon BTS de maintenance industrielle que j’en ai morflé. Depuis 2020, j’ai laissé mes études de côté pour me consacrer uniquement au sport en intégrant l’armée des champions, un dispositif mis en place par le ministère des Armées et qui me permet de vivre du vélo aujourd’hui.

Qu’est-ce que tu penses, plus généralement, de l’inclusion des personnes handicapées dans le sport ? 

Je trouve que cette année, grâce aux jeux de Tokyo, il y a eu un engouement énorme. Je le vois sur les réseaux sociaux par exemple, à travers le nombre de personnes qui nous suivent, la médiatisation que l’on a eue, l’invitation à l’Élysée… Moi, c’était la première fois que je faisais des caméras après les courses par exemple. Ça démocratise le handicap de lui donner autant de visibilité et j’espère que ça va continuer dans ce sens-là ! J’ai envie que les enfants en situation de handicap ne se sentent pas freinés à l’idée de faire du sport. En plus, depuis cette année, la France a fait un même mouvement olympique et paralympique, donc on a pu se mélanger, échanger entre sportifs et je trouve ça cool.

Comment t’es devenu pro ?

J’ai commencé par le vélo avec les valides de mes 14 à mes 17 ans. C’est par la suite que j’ai découvert le handisport, ses compétitions et ses classifications. J’ai toujours pédalé de la même façon mais ce qui change, c’est d’affronter des adversaires qui sont comme moi, ça devient plus valorisant de faire des résultats. Il faut savoir que le valide m’a énormément servi pour persévérer dans le handisport que j’ai intégré à mes 17 ans. Là, je gagnais tout en Coupe de France donc j’ai rapidement été repéré par l’entraîneur du pôle espoir qui m’a proposé de rejoindre l’équipe en septembre 2018. J’ai réalisé ensuite mes premières coupes du monde où j’ai remporté mon premier titre de champion du monde un an plus tard, en septembre 2019. J’avais 18 ans.

Tu sais ce qu’en pensent tes anciens profs d’EPS ?

Beaucoup de mes anciens profs de sport m’ont envoyé des messages, ça fait chaud au cœur mais je ne sais pas comment ils ont eu mon numéro ! 

Qu’est-ce que t’apporte le sport, qu’est-ce que tu ressens sur ton vélo ?

J’ai un sentiment d’immense liberté où j’oublie tous mes problèmes, tout ce qui peut me prendre la tête. Ça me permet d’extérioriser, de penser à autre chose, de me mettre dans ma bulle, d’être dans la nature dehors avec ma musique…

En parlant musique, sur ton Insta, tu as l’air de connaître les musiques de Wejdene par cœur quand tu les chantes à tue-tête dans le bus avec les autres athlètes, tu l’écoutes aussi seul dans tes écouteurs souvent ?

(Rires) Ouais franchement ça m’arrive, quand je suis un déprimé, hop, un peu de Wejdene et ça repart ! Mais en vrai, j’écoute de tout, surtout avant l’entraînement pour souffler un peu.

Est-ce que tu te rappelles de ta première course ?

Je m’en souviens comme si c’était hier, je pense même pouvoir te refaire la journée au millimètre près. J’avais 14 ans. J’étais tellement stressé que je n’en avais pas dormi de la nuit. Le départ était à 14 heures le lendemain, on devait être une vingtaine sur la ligne de départ et j’avais terminé neuvième !

Tu saurais dire quelle a été la plus belle course de ta carrière ?

Je pense que c’est mon premier titre de champion du monde en septembre 2019 aux Pays-Bas, c’était un moment hyper fort. Déjà parce que j’ai eu une énorme surprise à l’arrivée en voyant mes parents qui n’étaient pas censés être là, et aussi parce que je ne m’attendais pas à remporter ce titre. J’étais plus venu là pour apprendre, j’y allais sans aucune attente donc ça a été d’autant plus incroyable de franchir la ligne d’arrivée en premier !

Et la pire de ta carrière ?

Je dirai ma première Coupe du monde à mes 18 ans. J’étais sur le point de faire un podium avec le champion du monde en titre et le leader de la Coupe du monde, et à 800 mètres de l’arrivée, je crève… De là, je descends de mon vélo, j’essaye tant bien que mal de franchir la ligne d’arrivée en courant avec mon vélo sur le dos, mais je me suis rapidement fait dépasser. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. J’avais tellement d’espoir à l’idée de remporter un titre à leur côté, ça a été une énorme déception difficile à digérer.

Es-tu le plus jeune dans ta catégorie ?

Aux Jeux de Tokyo, j’étais le plus jeune. La moyenne d’âge est en général aux alentours de 40 ans. Je ne suis pas intimidé pour autant mais je reste très impressionné par leur niveau à leur âge. J’ai même un adversaire qui a un fils de mon âge, c’est drôle et rassurant de me dire que ma carrière peut être encore longue.

Est-ce que tu as des exigences particulières à suivre dans le cadre de ta discipline ?

J’ai entre 18 et 20 heures d’entraînement par semaine, avec un régime assez strict forcément. Pour te dire, à la fin des Jeux, j’ai mangé mon premier McDo et mes premières frites depuis un an.

Qu’est-ce que tu ambitionnes par la suite ?

Une carrière de sportif sur encore plusieurs années. Je me suis dit que j’arrêterai au moment où je verrai des petits jeunes qui me mettront une taule. En attendant, rendez-vous à Paris en 2024 déjà ! Ça va être à la maison en plus, je donnerai tout pour que tout le monde soit fier surtout quand on a le maillot tricolore sur les épaules, on se doit de se donner au maximum.

Qu’est-ce qu’on peut espérer de plus quand on est médaillé olympique à 20 ans ?

Ce qu’on peut espérer de plus… c’est en ramener plus !